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Il l’avait éveillée seulement pour lui dire au revoir, lorsqu’il avait été prêt à sortir, mais ensuite il n’y avait pas eu moyen de l’empêcher de se lever, de courir comme une folle à la salle de bains, de réapparaître deux minutes plus tard, déjà à demi vêtue, d’enfiler la première jupe et la première veste qui lui étaient tombées sous la main et de jeter un imperméable sur ses épaules, car au-dehors il faisait sombre, la pluie tombait.
— Je t’accompagne jusqu’à… du côté où tu dois aller, je ne sais pas… je fais appeler un taxi… tu avais dit à huit heures… tu n’as même pas pris de petit déjeuner… tu as encore une demi-heure, non ?…
Maintenant, ils sont dans un café du Rialto, debout devant le comptoir assailli, entre des gens qui entrent et sortent hâtivement en allant travailler, tandis qu’un serveur en tablier se dépêche de répandre de la sciure, car dehors il pleut plus que jamais et l’eau ruisselle en abondantes rigoles des parapluies refermés. Mr. Silvera porte un vieux chapeau avec son imperméable criblé de petits trous, mais elle n’a rien, elle est là avec ses cheveux mouillés, pâle et sans une trace de maquillage, les yeux battus comme…
Un air de Marie-Madeleine dans le désert, pense Mr. Silvera en tentant de se souvenir si dans le désert il a jamais plu ainsi. Il lui caresse le visage, lui prend une main.
— Au revoir. Je ne sais pas pour combien de temps j’en aurai, mais attends-moi à l’hôtel ou laisse un message pour dire où tu seras. D’accord ?
— D’accord.
— Et remets-toi au lit. Tu ne dois même pas avoir dormi trois heures.
— Je dois être affreuse, dit-elle, en essayant de sourire.
— La plus laide de Venise, dit-il en l’embrassant.
Puis, il se retourne et s’en va en hâte, il sort en oubliant de remettre son chapeau, et, une fois traversé le marché du Rialto Nuovo, poursuit son chemin par un enchevêtrement de passages, de campielli, de ruelles, de petites portes sordides et d’entrées dont, sous la pluie battante, il peine à distinguer les numéros.